Réveil reprogrammé (à mon ami Frédéric)

Publié le par fraginfo

 

Réveil reprogrammé

Dring ! Dring ! Torpeur, fatigue, engourdissement, barre au-dessus de la tête….Il est l’heure de se lever. Je n’arrive pas à m’extirper de mes rêves, de la chaleur de l’étreinte passionnée avec moi-même. J’essaie désespérément d’ouvrir les yeux, mes paupières restent collées. Il faut pourtant que je me réveille, mais je n’y parviens pas. Le doux sommeil réparateur envahit mes pensées. A l’extérieur, c’est glacial, vide, impersonnel. Ma couette me rassure et me réconforte. J’y réfugie mes bras engourdis. Les yeux se referment totalement, je me laisse emporter par la volupté hypnotique de ma semi-conscience.

Un soupçon de réalité me rappelle : « Il est l’heure de se lever. », mais il est six heures, et il fait froid dehors. Je n’essaie pas de lutter, une force inexplicable m’attire vers le doux refuge du lit, je suis un Etre Suprême, tandis que la réalité voudrait que je sois quelqu’un d’autre, un être banal. J’ai atteint le paroxysme de la conscience, personne ne m’extraira de ce lit ce matin ! Je refuse d’être un zombie matinal !

Je m’enfonce plus profondément dans ma couche et me laisse glisser tout doucement dans cet état de pureté.

Rien ne peut plus m’arriver tant que je suis en compagnie de Morphée, pourtant je n’ai pas conscience de cette voix intérieure qui m’appelle vers le royaume des songes. C’est automatique, mécanique et éclectique…

Réveil reprogrammé !

Le silence de ma chambre détonne avec le brouhaha de la rue. L’obscurité favorable contraste avec la lumière envahissante qui perce à travers les volets. Les vibrations de la rue ne me parviennent plus qu’étouffés. Un tampon s’est intercalé entre la réalité extérieure et mon entité interne.

L’aura  de ma spiritualité me recommande de ne pas bouger, alors, je reste immobile, inattentif, la respiration régulière, non contrôlée et pourtant consciente.

Rien ne m’attire plus dans le monde concret. Je suis envahi par une vague de vacuité.

Mon cœur se ralentit…

Je ne sens plus rien…

Le vide.

Réveil en douceur cette fois-ci, je me sens apaisé, serein. Je regarde le réveil : 8h, tant pis, je téléphone au bureau, je serai en retard.

Je me prépare en toute délicatesse, sans me presser, j’ai l’impression de flotter. Mes pieds se lèvent imperceptiblement l’un après l’autre. Je suis hyper conscient. Mon corps et mon esprit sont associés.

« Bonjour tout le monde, désolé d’être en retard, j’ai eu une panne de réveil ».

 Je ne peux tout de même pas leur dire ce qui m’est arrivé, tant pis, je resterai plus tard ce soir.

Le patron arrive irascible, m’incendie, mais je ne perçois pas sa colère, je suis indifférent….

…L’avion vient de déployer ses roues et s’apprête à atterrir, j’étais bien dans les airs entre nuages et atmosphère. Il glisse sur la piste lentement, doucement, je n’ai pas l’habitude des atterrissages en douceur, je savoure, je déguste, le monde se presse autour de moi, je reste assis, tous les autres passagers sont debout, se précipitent sur leurs bagages, le moteur tourne encore, je ne comprends pas cette panique, cet empressement : « Hé, les gars, restez zen », j’ai une place côté couloir, je gêne les deux passagers assis à côté de moi….

…« Vous allez bientôt vous mettre au travail ? » me hurle M. Chartier.

Travail ? Quel travail ? Ah oui il faut que je me reprogramme en mode action,

Je m’assois à mon bureau et commence à traiter le courrier empilé à côté de mon ordinateur.

Dring ! Dring ! Encore ce fichu réveil !!!!Pourtant je l’avais reprogrammé ; je vois en face de moi les gros yeux de M. Chartier, …Ah ouiiiii, bien sûr, c’est le téléphone.

« Allo, ici, la Société SCM, Olivier Lemoux au téléphone, que puis-je pour votre service ? »

Ouf ! La journée de travail est terminée.

Ah ! Si on pouvait reprogrammer les patrons, les ordinateurs, les téléphones et les collègues…

Dring ! Dring ! Je dors paisiblement, je l’entends à peine, je me rendors, mêmes sensations que la veille, je ne veux pas me réveiller, je me reprogramme.

8h : allons bon ! Cette fois-ci, je vais au travail sans téléphoner, deux fois de suite ça paraîtrait louche.

Quand  j’arrive, tout le monde me salue aimablement : Bonjour « M. le Directeur », on me sourit. Je me dirige vers mon bureau habituel, mais il y a déjà une personne assise à ma place et qui travaille sur mon ordinateur, je me tourne vers Sophie :

« Je vous porte votre café dans votre bureau, Monsieur ? », sans attendre la réponse, elle tourne les talons, et  une tasse à la main, s’engouffre  dans le bureau du directeur.

J’entends une voix qui me souffle : « Tout est reprogrammé. », allons bon, je suis en pleine science-fiction. Me voilà reprogrammé directeur. Je suis devenu le patron : The Boss !

Bon, j’effectue mes tâches avec un enthousiasme que je ne m’étais jamais connu.

J’apprécie mon travail, je dirais même « je jouis. ….

…Ca y est, je descends de l’avion, le pas léger, indifférent au tumulte environnant.

Une marche après l’autre, surtout pas trop vite. On me presse, on me fustige, but who cares? …

…Je me retrouve devant un dîner léger composé de salade asiatique, de pâté végétal et de jus de carotte. C’est plus sain, et tellement meilleur !

Mais, je n’ai jamais aimé ce genre de cuisine, comment ? …

…Je me retrouve à la sortie de la passerelle, je flotte dans les airs, mes pas légers m’entraînent en toute sérénité vers l’aéroport. On me frôle, des enfants crient, les haut-parleurs éructent. Je ne suis pas seul et pourtant je n’ai aucun besoin de communiquer avec cette foule en délire. Je suis enfin moi-même….

…Je savoure ce repas nouveau et pourtant si connu de mon inconscient. La télévision ? Non, je vais écouter de la musique, celle que j’aime.

Ah bon ? J’aime la musique ? Depuis quand ? Je me surprends les écouteurs d’un MP3 aux oreilles, c’est de la musique tibétaine. Tiens ! Quand me suis-je procuré cette musique ? Et comment ? Moi qui ai horreur d’internet. Les sons sont discordants et harmonieux en même temps.

Les oreilles occidentales ne sont pas familiarisées avec cette musique. C’est dommage, elle transmet un message, un message de sérénité, de bonté et d’harmonie….

…Ca y est, j’ai traversé le long terminal à pas feutrés, je me dirige vers la station de taxis, une queue immense s’allonge interminablement devant moi, je traverse pour prendre un car, une voiture me heurte brutalement.

« Où suis-je ?

-Dans ma voiture, Monsieur, je vous ai renversé, les secours sont venus et n’ont rien constaté de grave, alors je vous ramène chez vous, on a trouvé votre adresse dans votre portefeuille, je vous dois bien ça.

-Monsieur ?

-Gérard, appelez-moi Gérard »

Il conduit lentement, doucement, effleure les pédales, me transporte dans son calme, et me rassure :

« On est bientôt arrivé, on va téléphoner à un docteur quand on sera arrivé pour plus de sûreté’.

Je me laisse prendre en charge, je n’ai pas l’habitude, et puis je n’ai pas l’habitude de la compagnie non plus…..

Cette musique vous prend aux tripes, elle sort non pas d’un instrument mais d’une entité spirituelle. Elle se confond avec harmonie.

Je vais me coucher, profondément fatigué mais détendu.

Dring !

Ah ! Cette fois-ci, je me lève sans souci, je me rends à mon travail à l’heure.

Je suis toujours le directeur, j’ai droit à ma tasse de café, au courrier à signer, et aux sourires des employés.

Quand je sors, les rues sont sereines, plus de klaxon, les voitures roulent doucement, les gens font attention de ne pas me heurter, et s’excusent….

Dring ! Dring ! Mon réveil ? Mais non je suis dans la rue. Cette sonnerie provient de ma poche, j’y enfouis la main, je trouve un téléphone portable !!!!???? Je n’en ai jamais eu, je déteste ça, « déteste », ce mot résonne étrangement dans ma tête, on dirait des ondes négatives. Allons bon, je me mets à penser comme un yogi maintenant.

Dring ! Dring ! Bon, je décroche :

« Allo, Michel ?

-Oui c’est moi

-C’est Chloé »

Je reste pantois, Chloé m’a laissé tomber il y a à peu près deux ans de ça, j’en ai énormément souffert, j’en étais éperdument amoureux…

…Je suis confortablement assis dans mon fauteuil, Gérard m’apporte une tasse de café brûlant. 

« Ca va ?

-Oui, oui ne vous inquiétez pas

-J’ai appelé un médecin, il passera d’ici quelques heures. En attendant, on peut peut-être faire connaissance ? »

Je suis plutôt un solitaire, je n’aime pas la compagnie, mais je trouve la sienne assez apaisante. Alors, je décide de continuer la conversation.

Cette discussion nous entraîne dans des contrées lointaines qu’il a visitées, où il a trouvé des petits boulots lui permettant de survive. Il a connu le Bhoutan, le Tibet, le Kurdistan, l’Inde, ah l’Inde, j’aimerais tant y aller. Il a été livreur, vendeur de sandwiches, promeneur de chien, il a même un  temps été gigolo, ça me fait rire, cette activité me fait penser au film «American gigolo » avec Richard Gere ; c’est vrai qu’il a à peu près le même genre, physiquement j’entends.

« Et maintenant, que faites-vous ?

-Je suis écrivain, je prospecte les maisons d’édition.

-Ecrivain ? Intéressant »…..

… « Bonjour Chloé », je ne ressens aucune rancœur,

« Bonjour, Michel, euh, je passais à Paris et je me demandais si je pouvais te rencontrer, si ça ne te dérange pas bien sûr

-Sans problème. »

On se retrouve le soir dans mon appartement lumineux du 16è arrondissement, eh oui, j’ai une paye assez conséquente.

On commande un repas chinois et on déguste du saké. Oui, je sais, le saké est une boisson japonaise, mais moi j’aime ça et Chloé aussi.

Dring ! Dring ! Ah ça c’est mon téléphone.

« Bonsoir, je suis bien chez Michel Lemoux ?

-oui, qui est à l’appareil ?

-Je ne sais pas si tu te souviens de moi, on était au lycée ensemble, je suis Pierre Laval.

-Tu parles si je me souviens de toi ! On était toujours ensemble, on séchait les cours ensemble pour aller à la piscine, et on a fait du théâtre ensemble.

-Oui, tu as une sacrée mémoire. J’ai retrouvé ta trace sur internet

-…. ?

-Ca faisait longtemps que je voulais rentrer en contact avec toi, mais tu sais, la vie, le travail, les gosses…

-Pour le travail, je connais, mais des enfants je n’en ai pas encore.

-On peut se voir ?

-Bien sûr »

Rendez-vous fixé le weekend suivant au Crillon, près de la rue de Rivoli. 

« Alors, Chloé, que deviens-tu ?

-eh bien, j’ai vécu avec un autre homme, mais ça n’a pas marché.

-Pourquoi ?

-Parce je me suis rendue compte que je t’aimais toujours.

-…

-Je sais, c’est spécial comme déclaration deux ans plus tard. »….

…Le docteur arrive enfin, m’ausculte des pieds à la tête, tout va bien.

« Ecrivain ? J’adore lire, et vous écrivez sur quoi ?

-Surtout sur mes voyages, sur mes aventures, j’écris des romans, des chroniques dans les journaux. »…

Un an plus tard, je fréquentais deux nouveaux amis : Pierre et Gérard, on sortait souvent ensemble, on allait au cinéma, au bowling, au restaurant, aux concerts,…

Je me sentais heureux entouré.

Dring ! Dring !

« Laisse, chéri, je vais y aller ! »

J’ouvre les yeux subitement…et je découvre Chloé, nue, sortant de mon lit, enfilant un peignoir et se dirigeant vers le téléphone.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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